Metodo

International Studies in Phenomenology and Philosophy

Journal | Volume | Article

153896

Approches de Hegel (suite et fin)

Joseph Moreau

pp. 191-224

Abstract

La vogue de la philosophie hégélienne vient de ce qu'elle répond à une exigence d'absolu, inhérente à la pensée métaphysique, en même temps qu'elle rejette la transcendance ontologique, qui répugne à la mentalité positiviste. Rien ne saurait être au delà de l'espace et du temps, et il n'est d'autre absolu que les réalisations de l'esprit dans l'expérience et dans l'histoire. La description de telles réalisations fait l'objet de la Phénoménologie de l'Esprit; mais pour reconnaître dans ce progrès historique la manifestation de l'absolu, il faut une réflexion capable de saisir dans l'expérience et dans l'histoire l'effet d'une nécessité rationnelle, la réalisation d'une exigence pure de la raison, d'où résulte la rationalité du réel. La Phénoménologie de l'Esprit requiert donc comme fondement une Logique, qui ne se réduit pas à une théorie du raisonnement formel, qui ne consiste pas non plus dans une critique de la connaissance, examinant les conditions de l'accord entre la pensée et son objet, mais qui s'exerce dans une construction systématique, par laquelle l'esprit produit lui-même son objet à mesure qu'il prend conscience de lui-même, des exigences de la raison. C'est de Spinoza que Hegel a reçu cette conception de la philosophie comme système, de la logique comme expérience de la «puissance native de l'entendement»; mais il reproche obstinément à Spinoza de n'avoir pas su montrer comment de la considération de l'être abstrait ou substance la pensée s'élève nécessairement à la conscience de soi, à la notion de l'être comme sujet ou esprit. Ce dépassement de l'éléatisme s'accomplit cependant, estime Hegel, dans la dialectique platonicienne, où l'opposition de Yêtre et du non-être est surmontée au moyen des relations du même et de Vautre; ce qui échappe toutefois à Hegel, c'est que cette dialectique des genres suprêmes, par où se déterminent les objets de l'entendement, est subordonnée dans le platonisme à une construction ontologique, qui se réfère à une exigence absolue, qui requiert un principe inconditionné, l'activité d'un Intellect transcendant. Dans la synthèse néoplatonicienne, l'esprit ou l'Intellect n'est pas l'absolu, la première hypostase; mais c'est par sa conversion vers l'Un ou Premier principe qu'il se constitue en même temps que l'Univers intelligible ; et la Nature ou le monde sensible est dérivée de lui, comme troisième hypostase. Dans Y Encyclopédie hégélienne, au contraire, la Nature est l'extériorisation de l'Idée, du logos abstrait, et c'est par le retour à soi de l'Idée que l'Esprit se constitue progressivement, est reconquis sur la Nature. L'hégélianisme apparaît donc comme un néoplatonisme renversé, qui pourrait se résumer en ces termes: l'être abstrait, l'objet le plus général de la pensée, peut être tenu pour l'absolu présent à notre esprit, mais non reconnu comme tel ; et c'est seulement quand nous aurons pris conscience de lui qu'il sera lui-même réellement et pour soi, sujet conscient, Esprit absolu ou Dieu. Mais n'est-ce pas là une proposition aberrante {ein ungereimter Satz, eût dit Kant), la conclusion d'une dialectique qui renonce à la conversion primordiale, et qui veut aller à l'absolu la tête en bas? troisième hypostase. Dans Y Encyclopédie hégélienne, au contraire, la Nature est l'extériorisation de l'Idée, du logos abstrait, et c'est par le retour à soi de l'Idée que l'Esprit se constitue progressivement, est reconquis sur la Nature. L'hégélianisme apparaît donc comme un néoplatonisme renversé, qui pourrait se résumer en ces termes: l'être abstrait, l'objet le plus général de la pensée, peut être tenu pour l'absolu présent à notre esprit, mais non reconnu comme tel ; et c'est seulement quand nous aurons pris conscience de lui qu'il sera lui-même réellement et pour soi, sujet conscient, Esprit absolu ou Dieu. Mais n'est-ce pas là une proposition aberrante {ein ungereimter Satz, eût dit Kant), la conclusion d'une dialectique qui renonce à la conversion primordiale, et qui veut aller à l'absolu la tête en bas?

Publication details

Published in:

(1982) Revue philosophique de Louvain 80 (46).

Pages: 191-224

Full citation:

Moreau Joseph (1982) „Approches de Hegel (suite et fin)“. Revue philosophique de Louvain 80 (46), 191–224.